Dans les pas de Robert L. Stevenson (9 au 15 août 2021), par Jean DUBEAU



Depuis cinq ou six ans l’envie d’accomplir ce qu’avait fait Robert Louis Stevenson en septembre 1878 se manifestait souvent, fréquemment. Mais, pour différentes raisons, ce projet était toujours remis à plus tard. Or, cette année, toutes les conditions étaient réunies pour que je me lance dans l’aventure.

Après avoir dressé la liste du matériel, effectué les derniers achats et réparti le tout dans mon sac à dos et dans mon gilet, j'étais fin prêt le 6 août, veille de mon départ pour Le Puy-en-Velay. Le samedi 7 août je prenais « Le Cévenol » en gare de Nîmes. Dans ce train, je me retrouvai avec plusieurs voyageurs aux sacs à dos bourrés à craquer. Je tentai de calmer mon appréhension en fixant mon attention sur le paysage qui défilait. Arrivé à Langogne, je descendis avec d’autres pour attendre la correspondance pour Le Puy-en-Velay. C’est au cours de cette attente qu’une forte pluie s’abattit sur nous. Mauvais présage pour la suite ? La pluie cessa lorsqu’arriva le bus SNCF. En traversant Le Puy pour rejoindre l’unique camping je découvris le charme de cette ville et décidai de consacrer l’après-midi et la journée du dimanche pour faire du tourisme, remettant mon départ au lundi 9.

Smartphone à la main j’ai parcouru les rues et les ruelles pour me rendre au Rocher Saint-Michel d'Aiguilhe visiter la chapelle perchée au sommet d'un neck volcanique que l'on atteint après avoir gravi 268 marches taillées dans la roche. Depuis le chemin de ronde un panorama exceptionnel sur la ville et ses environs s’offrait à mes yeux. Puis ce fut la visite de Notre-Dame de France, statue de 16 m posée sur un piédestal de 6 m, le tout dressé lui aussi sur un neck. Mes pas m’ont ensuite mené à la cathédrale Notre-Dame du Puy avec sa Vierge Noire, curieux édifice bâti en partie sur le vide.

 

Lundi 9 août. Destination : le Monastier-sur-Gazeille

Réveil assez matinal. Mon voisin dans la tente d’à côté n’a pas arrêté de ronfler et je n’ai presque pas fermé l’œil de la nuit et pour ajouter à ma bonne humeur le dessous du tapis de sol de la tente avait une épaisse couche de boue durcie. J’ai passé un temps fou à le nettoyer. Pour éviter à l‘avenir cette perte de temps, je décide pour les nuits à venir, de ne plus monter la tente et de dormir à la belle étoile. Le petit-déjeuner avalé, mon équipement sur le dos je me lance sur le chemin. « Je me lance » est une façon de parler car dès le pont sur le Dolaizon franchi, et tout en étant encore en ville, une côte pentue et interminable casse mon élan. Mes 20 kg de matériel sont comme une chape sur mes épaules. Pour compliquer la situation, le chemin qui se poursuit dans la campagne est jonché de gros boulets de basalte auxquels il faut faire attention. Les parties du terrain en plateau sont occupées par les pâturages ou les cultures. Ce sont des champs de blé, d’orge et de maïs. Sur les chemins et les petites routes circulent des engins agricoles de toute sorte. En terrain découvert, le soleil ne tarde pas à envenimer les choses. Peu d’ombre pour se rafraîchir et lorsqu’on en découvre, l’envie de s’arrêter et de s’y attarder vous tenaille. C’est une région où le regard porte très loin. Jusqu’à l’horizon les collines succèdent aux collines, les descentes comme les montées sont très prononcées. La descente sur Coubon où coule la Loire n’échappe pas à la règle. Aussitôt le fleuve franchi on passe de 600 m à 800 m d’altitude en l’espace de quelques centaines de mètres.

C’est enfin l’arrivée au Monastier-sur-Gazeille après 23,38 km. Là, se trouve une magnifique église abbatiale de style roman, l'église Saint-Chaffre construite dans sa plus grande partie en pierre volcanique du pays au XIIème siècle. Le contraste entre les pierres volcaniques sombres de la nef et les pierres blanches de la pierre d’arkose du chœur est saisissant.

Comme prévu je délaisse la tente et installe mon bivouac sur l’emplacement qui m’est alloué par le gérant du camping. Après une bonne douche, je prépare mon repas du soir : pâtes à la bolognaise. Il suffit d’une certaine quantité d’eau bouillante à verser dans l’emballage, d’attendre quelques minutes et vous obtenez un repas des plus roboratifs. L’heure venue, je me glisse dans mon sac de couchage et je peux enfin contempler le ciel parsemé de milliers d’étoiles. C’est un spectacle à ne pas manquer. Je n’ai pas tardé à m’endormir.

La nuit a été fraîche pour ne pas dire froide. J’ai appris un peu plus tard qu’il n’avait pas fait plus de 5°. Mon sac était couvert de rosée comme partout. Rien de sec. Les vêtements que j’avais mis à sécher étaient trempés.

 

Mardi 10 août. Destination : le Bouchet-Saint-Nicolas

À la sortie du camping un spectacle amusant et qui me fait envie : une famille occupée à bréler leur chargement sur le dos d’un petit âne. À maintes reprises j’ai l’occasion de les rattraper, chaque fois j’imagine que je me déleste de ma cargaison sur le dos de cet animal de compagnie. Mais non, il est toujours là, bien présent sur mes épaules qui commencent à souffrir sous la charge.

Le paysage ressemble sensiblement à celui de la veille. Une forte descente sur Goudet pour traverser à nouveau la Loire et aussitôt la montée sur le versant opposé aussi raide qu’a été la descente se dresse devant moi. Le château de Beaufort est trop éloigné pour lui rendre visite. Cette ascension m'a épuisé. À Montagnac, je cède ma tente à un monsieur qui me permet de remplir ma bouteille. Puisque j’ai décidé de dormir à la belle étoile, autant me décharger de ses 2,5 kg. Un léger soulagement, mon sac est descendu sous la barre des 15 kg. Je reprends ma route mais arrivé à Cros Pouget, un petit hameau, constatant qu’il est trop tard pour continuer jusqu’au Bouchet-Saint-Nicolas, je demande à une dame s’il y a un abri où passer la nuit. Elle m’indique leur pré où je pourrai bivouaquer. Je commence à m’installer lorsque le père de cette dame me rejoint avec une grande bâche pour me protéger de l’humidité, plus tard il revient avec deux sacs contenant du pain, des crudités, du fromage et des fruits. Cette générosité me touche. Puis plus tard, lorsque le tonnerre se fait entendre, il revient pour me proposer l’abri d’une vieille grange. Trop paresseux pour déplacer tout mon barda, j’improvise un abri avec la bâche, mes bâtons de randonnée, de la corde et des sardines taillées dans un bâton. Satisfait de ma réalisation, je glisse toutes mes affaires et mon sac de couchage à l’abri. Pas de voûte étoilée à contempler cette nuit mais le toit de la toile. Rasséréné, je ne tarde pas à m'endormir après cette journée éprouvante. Vers quatre heures du matin je suis réveillé par la pluie tambourinant sur la toile. Constatant que je reste au sec, je me rendors.

 

Mercredi 11 août. Destination : le Bouchet-Saint-Nicolas

Le réveil est matinal. Pendant que l’eau chauffe sur mon réchaud à alcool, je confectionne mon sac, fais le point et constate que j’ai parcouru un peu plus de 15 km la veille, le Bouchet se trouve donc approximativement à 12 km. Avant le départ, je replie la bâche que je laisse sur l’herbe, regrettant de ne pas pouvoir revoir mon bienfaiteur pour le remercier.

Le paysage offre le même spectacle : des prés, des champs en culture, d’autres en cours de moisson, des pâturages où paissent des bovins, des chevaux et même des ânes. La vue porte très loin bien que le relief soit très vallonné. Souvent les sommets des collines (dont l’altitude dépasse les 1200 m) sont couverts de forêts de sapins. En suivant un chemin bien ombragé cette fois-ci, je suis surpris en découvrant un couple s’installant pour une longue halte, flanqué de deux beaux ânes au front ceint d’un rideau de cordelettes pour chasser les mouches assez agressives. J’en profite pour faire une pause pendant que ma batterie de secours se recharge branchée au panneau solaire mobile.

Après avoir parcouru 12,16 km j’arrive au Bouchet-Saint-Nicolas où je peux faire quelques courses à l’unique épicerie du village avant de rejoindre le camping municipal. Le bivouac est vite installé, juste le sac de couchage à dérouler et y glisser le sac à viande. Une douche pour se sentir un autre homme. C’est à ce moment que je découvre la première ampoule sous le pied droit, près du gros orteil. Une dame vient à mon secours en apposant un pansement adapté.

Petit à petit de nouveaux arrivants se regroupent autour de la table de pique-nique où je me suis installé. Chacun déballe son réchaud, à gaz pour la plupart, et s'étonne de mon réchaud Esbit. Les menus sont parfois surprenants.

Plus tard on s’étonne de ne pas voir de tente montée près de mes affaires et me voilà une fois de plus en train de raconter mon histoire.

La nuit a été fraîche mais calme, pas de pluie. Heureusement, car je n’avais plus la bâche protectrice. Le poncho utilisé comme couverture a préservé mon sac de couchage de la rosée. Petit-déjeuner autour de la table commune avant de reprendre la route.

 

Jeudi 12 août. Destination : Pradelles

Le soleil brille à nouveau. Terrain confortable jusqu’à Landos avec un faible dénivelé. Le Chemin est bordé de part et d’autre de prés. Les machines agricoles fauchent le blé ou l’orge, des andaineurs rotatifs alignent le foin coupé suivis d’emballeurs qui confectionnent et déposent des balles de foin de 500 à 600 kg. Le tout en un rien de temps.

À Jagonas, pendant que je casse la croûte sur une table de pique-nique, à l’ombre, près du vieux lavoir et de la fontaine, une cavalière approche juchée sur un cheval magnifique. La selle est équipée de fontes avant et arrière. Sûrement un harnachement pour randonnée équestre. Après quelques lampées et deux ou trois coups de talons dans les flancs, le cheval repart au petit trot.

Après Arquejols, dans la descente menant au ruisseau de la Mouteyre, un immense viaduc ferroviaire barre la vue. Un bruit m’intrigue et en affûtant ma vue je vois des voitures de vélorail filer sur la voie ferrée. Ah ! que n’ai-je pas ce type de véhicule pour me déplacer !

Le ruisseau franchi, une longue, longue, très longue montée se profile devant moi. Le soleil est sans pitié et à travers ces cultures on ne voit pas de point d’ombre. Parfois un arbre isolé offre un peu de fraîcheur mais il est déjà occupé par d’autres marcheurs.

Dans la descente sur Pradelles, à travers bois, le vent se met à souffler et le tonnerre se fait entendre. Le ciel s’obscurcit à l’ouest et la pluie tombe au moment où je suis au panneau entrée d’agglomération. Juste le temps de m'abriter sous un platane. Heureusement, la pluie ne dure que quelques minutes.

24,44 km parcourus lorsque j’atteins le camping municipal. Trop tard pour visiter la petite ville qui renferme des trésors architecturaux moyenâgeux. Lorsqu’à la gérante j’annonce que je dors à la belle étoile, elle s’en inquiète et me propose de m’installer dans la salle commune car des orages sont annoncés pour la nuit. Pendant que je m’installe un autre marcheur dans le même cas que moi me rejoint. Et là où j’aurais pu passer une nuit aussi confortablement installé que dans un hôtel 5 étoiles, cela a été l’enfer, la pire nuit que j’ai connue. Lorsque cet homme ne ronflait pas, il remuait sur son matelas pneumatique et cela faisait un bruit insupportable. Lorsqu’enfin il se rendormait c’était pour ronfler. J’ai passé une nuit blanche.

 

Vendredi 13 août. Destination : Fouzillac

Debout de très bonne heure, je mets le nez à la fenêtre et je constate qu’il n’est pas tombé une goutte d’eau. Grrrr !!! J’aurais mieux fait de dormir à l’extérieur.

Petit-déjeuner avalé, je remonte au village visiter le centre historique, la vieille ville moyenâgeuse. Passée la porte fortifiée on a l’impression de basculer dans une autre époque, dans le passé, et on s'attend à voir surgir des hommes en cottes de mailles et armures. Les rues sont pavées ou en caladées, les maisons entourant l’ancienne place du marché ont une avancée reposant sur des piliers aménageant ainsi un passage couvert. Malheureusement le temps presse et il n’est guère possible de s’attarder pour tout visiter.

En me dirigeant sur Langogne, le paysage change légèrement. On trouve de moins en moins de chemins semés de pierres volcaniques. Le pont d’Allier franchi, on pénètre dans la ville qui s’étire tout le long de la rivière le Langouyrou. Assuré d’avoir du réseau, j’en profite pour appeler le camping de Fouzillac. Un répondeur m’annonce que le camping est fermé. Changement de plan pour trouver un lieu d’hébergement. Finalement j’en trouve un à l’Herm. Ne cherchez pas, on ne le trouve que très difficilement sur la carte. C’est près de Saint-Flour-de-Mercoire. Là, ça vous parle ?

Avant d’atteindre ce hameau, je suis amené à traverser le pont qui enjambe le Langouyrou. Comme d’habitude je suis en nage, mes vêtements puent la transpiration. La tentation est trop forte. C’est en short que je m’assieds dans le courant de la rivière. La fraîcheur de l’eau fait un bien fou. C’est à regret que je me rééquipe.

J’ai parcouru 17,43 km lorsque j’atteins l’Herm et le gîte-camping "La Tartine de Modestine" tenu par un particulier. Il y a installé deux yourtes, un chalet de bois en guise de chambre d’hôtes et des sanitaires. Un coin dégagé me permet d’y installer mon campement. Ce soir j’ai décidé de m’accorder un peu de réconfort en prenant un repas chaud à la table d’hôtes ainsi que mon petit-déjeuner demain matin.

Douché et des vêtements propres sur la peau, je soigne deux nouvelles ampoules apparues au pied gauche en attendant l’heure du repas. L’intérieur de la salle à manger est rustique comme on pouvait l'imaginer en découvrant ce lieu-dit. C’est autour d’une table commune que je me retrouve avec les cinq autres pensionnaires. Une fois servis, nous réalisons pourquoi ce nom "La Tartine de Modestine" a été choisi. Le repas consiste en une épaisse tranche de pain de campagne, genre miche, toastée, garnie d’une bonne quantité de viande hachée Aubrac, d’une jardinière de légumes le tout nappé d’une bonne couche de quatre fromages locaux fondus accompagnée d’une salade verte. Du vin en quantité suffisante et pour conclure un dessert composé.

Les discussions terminées, nous avons rejoint nos pénates respectives. Encore une fois je n’ai pas souffert des intempéries au cours de la nuit.

 

Samedi 14 août. Destination : Luc

Le petit-déjeuner est en libre-service et je ne me prive pas. Je me sers en pain, beurre, confiture et thé et j’en reprends. Trop bon.

Derniers soins pour mes pieds et je repars. Peu de temps après je suis rejoint par les trois jeunes filles qui occupaient la tente dressée près de mon couchage et très vite je suis dépassé. J’ai parcouru plus de 18 km seul. Le paysage avait encore changé. Beaucoup de bois ou de forêts à traverser, quelques maisons isolées ou regroupées en petits hameaux. Seul le petit village de Cheylard-L'évêque donne un peu de vie dans la région.

5 km avant Luc, dans la forêt domaniale de la Gardille, se trouve l’étang de l’Auradoux où a été aménagée une aire de détente. C’est là que je rencontre un compagnon de route des jours précédents. On s’accorde un bon moment de répit avant de reprendre la route.

Une descente plutôt raide semée d’éboulis nous amène au château de Luc dont le donjon est surmonté d’une imposante statue de la Vierge. Les belles ruines du château méritaient bien que le drone les survole et les filme. Tout occupé à donner des explications à la personne qui m’accompagnait, je me suis montré peu attentif au pilotage. Tout d’un coup plus d’image sur l’écran de contrôle en même temps qu’un bruit plutôt inquiétant. Le drone venait de percuter la cime d’un grand arbre auquel je portais peu d’attention. J’ai craint qu’il soit resté accroché dans les branches supérieures et donc inaccessible. Avec pas mal d’appréhension j’ai rejoint l’arbre. La ramure était trop dense pour distinguer l’engin. J’allais m’éloigner, acceptant avec fatalité la perte de mon appareil, lorsque je le découvris un peu plus loin au pied d'un arbre. Pas de gros dégâts matériels apparents si ce n’est la perte d’un des sabots du train d’atterrissage. Par contre, reconnecté à la radiocommande, de nombreuses anomalies, concernant les capteurs de proximité, provoquées par le choc, étaient signalées. Seul l’ordinateur pouvait reconfigurer ces paramètres. L’usage du drone n’était plus possible pour la suite.

Le camping de Luc est un camping naturel situé en bordure de l’Allier. Arrivé bon dernier je retrouve de vieilles connaissances déjà en tenue relax. Mon sac déposé, je rejoins les douches et là j’ai la confirmation qu’une nouvelle ampoule est apparue au pied gauche et a crevé ainsi que les premières. La peau s’est déchirée et pend en lambeaux et pour couronner le tout les extrémités des trois premiers orteils de chaque pied sont noirs. Mon moral en prend un coup. Je découpe aux ciseaux les lambeaux de peau et j’applique du mercurochrome sur chacune des plaies et garde les pieds nus.

Rassemblés autour de la table de pique-nique, devant nos réchauds sur lesquels chauffent nos gamelles, le moral remonte au fil des conversations et des blagues échangées. Enfoncé dans mon sac de couchage, je bouquine à la lueur de la lampe frontale avant de plonger dans un profond sommeil.

 

Dimanche 15 août. Destination : la Bastide-Puylaurent

Encore une nuit sans pluie. Le poncho étalé sur mon sac m’a, une nouvelle fois, protégé de la rosée. Je m’extirpe du sac et je rejoins la table avec mon matériel de cuisine pour préparer mon petit-déj… en marchant sur des œufs, les pieds sont très sensibles. Une fois rassasié, je m’occupe de ce qui me sert de moyen de locomotion… mes pieds car, comme me l’a rappelé Claude, « les pieds sont l’objet de soins constants ». Mercurochrome, gaze, ruban adhésif partout où cela est nécessaire. Chaussettes, chaussures, sac au dos… Les premiers pas sont… disons douloureux puis cela passe et je peux reprendre la route. Par la suite, je constate que tant que je suis en mouvement la douleur reste supportable. Mais lorsque je repars après m’être arrêté, assis, les pieds pendants, ou debout, en appui sur mes pieds, la douleur est forte sur six ou sept pas puis diminue progressivement.

En traversant la forêt au nord de Luc des aboiements se font entendre, se rapprochent et je finis par voir trois patous courir vers moi. Ils ne sont qu’à 4 m de moi. Heureusement une clôture nous sépare. Par précaution, je dégage un de mes bâtons de randonnée et cela les amadoue un peu. Ils m’accompagnent tout en continuant d’aboyer jusqu’à la fin du périmètre délimité par la clôture.

Plus loin, une faute d’attention me fait parcourir 500 m avant que je m’en aperçoive. 1 km parcouru inutilement dont je me serais bien passé. La descente prononcée sur Laveyrune me fait progresser à petits pas et là je me rends compte que je ne pourrais pas poursuivre et atteindre la fin de l’étape et encore moins continuer les jours suivants avec les pieds dans cet état. Je décide donc d’abandonner et de rejoindre la première gare, la Bastide-Puylaurent, au plus court c’est-à-dire à 5 km d’ici.

À l’entrée du village de Laveyrune je demande à deux dames d’un certain âge de bien vouloir remplir ma bouteille d’eau et je suis surpris de les entendre refuser à cause de la Covid. Les bras m’en tombent. J’insiste et elles persistent. Je les ai maudites, ces deux vieilles biques. Un peu plus loin, j’interpelle un vieux monsieur occupé sur son barbecue et lui demande de l’eau. Il me répond avec empressement en prenant ma bouteille « mais bien sûr, et je vais vous apporter à boire ». Son fils apparaît et insiste pour que je rentre dans le jardin m’asseoir et me reposer. Sa femme, infirmière, veut voir l’état de mes pieds et refait les pansements. L’aïeul revient avec un médicament« de sa conception : un grand verre de pastis et m’annonce que je ne repartirai pas dans cet état, qu’il me conduira en voiture à la gare mais qu’avant je prendrai le repas avec eux. Très touché par leur sollicitude je refuse mais devant leur insistance je finis par capituler. Pendant le repas, au cours de la conversation, je découvre qu’ils habitent la majeure partie du temps près de Nîmes et que nous sommes presque voisins. Quelle coïncidence !

Il a fallu que je cède sur un autre point, car tous insistaient, prendre une douche avant de partir. Avec la serviette on m’a donné un T-shirt neuf, encore emballé, un T-shirt publicitaire. J’ai eu beaucoup de mal à les quitter. L’aïeul m’a donc accompagné à la gare et m’a tenu compagnie jusqu’au départ du train.

Arrivé à Nîmes, Hélène et Michel m’attendaient pour me ramener à la maison.

 

Ainsi s’est achevée cette tentative. J’ai été long à me débarrasser de ce sentiment d’échec. Je pensais continuellement à celles et ceux que j’avais côtoyés et qui, eux, continuaient. L’idée de reprendre un peu plus tard le Chemin où j’ai abandonné m’a aidé à déculpabiliser.