Hommage à Jean-Luc GERVET

par le colonel (er) Patrick MONIER-VINARD,

le 26 août 2022 à Montpellier

 

 

Cher Jean-Luc et cher petit-co,

 

Je m’adresse à toi au nom de la promotion Maréchal Bugeaud, cette promotion fameuse entre toutes à laquelle tu n’as appartenu, si je peux m’exprimer ainsi, qu’à ton corps défendant. Reçu au concours de Saint-Cyr en 1957, une tuberculose tardivement décelée t’oblige en effet à retarder d’un an ton entrée dans cette École dont tu rêves depuis l’adolescence.

 

Saint-cyrien tu voulais être, saint-cyrien tu seras. Comme ton grand-père maternel, le général de corps d’armée Paul-André Doyen, figure des troupes de montagne et Grand-Croix de la Légion d’honneur, et comme ton oncle maternel, Jean Doyen, cyrard lui-aussi.

 

En décembre 1960, quand tu achèves à Philippeville l’école d’application de l’infanterie, c’est sans surprise que le chambérien de naissance que tu es, choisit de servir au sein du 28e bataillon de chasseurs alpins, stationné dans le Constantinois.

 

La guerre d’Algérie va être un moment fort de ta vie. Tu en as relaté au jour le jour les péripéties dans un livre intitulé Mémoires d’Algérie d’un sous-lieutenant. Tout y est : franchise, modestie, humour, mais aussi états d’âme.

 

Culpabilité quand tu écris ceci : « J’ai reçu un jour deux jeunes qui voulaient s’engager comme harkis. Ils m’ont demandé si je resterais toujours là. Je leur ai répondu qu’après un temps fixé par le commandement, je repartirai en métropole. Ils m’ont demandé : Est-ce qu’il y aura toujours un officier français ici quand toi tu seras parti ? » J’ai dit oui. « Tu me donnes ta parole ? » En toute bonne foi, j’ai répondu oui. Ils sont morts après l’indépendance par ma faute, parce que j’ai cru à ce que disait un de mes grands anciens, président de la République. »

 

Regrets quand tu écris : « Ceux qui n’ont pas connu des évènements comme cette guerre, ne peuvent pas comprendre cette sorte de nostalgie que les jeunes officiers de l’époque ont de cette période. Nous ne regrettons pas la guerre, mais notre jeunesse et les responsabilités que nous avions […]. Nous croyions à notre mission. Nous étions la sauvegarde de l’Occident et de sa civilisation. Nous travaillions à implanter la démocratie, à promouvoir le respect des femmes, l’égalité et l’éducation pour tous. Cela ne m’aurait rien fait de me faire tuer, tellement je croyais à ce que nous faisions. »

 

Empathie enfin quand tu écris : « Quand le gouvernement décida d’abandonner tous ceux qui n’étaient pas de souche européenne, un certain nombre de nos camarades ont déserté et ont rejoint l’OAS. Je pense que, comme moi, tous ceux qui s’étaient investis à fond ont hésité à le faire. Que ceux qui n’ont jamais rien connu d’autre que le train-train d’une vie insipide ne se permettent pas de juger ces soldats perdus. »

 

Soldat, tu vas l’être désormais en France. Au centre d’entrainement commando du 15e bataillon de chasseurs alpins, à l’école d’état-major, au 60e régiment d’infanterie dont tu commandes la 1re compagnie, à l’état-major des Armées, à l’école d’application de l’infanterie puis enfin à l’état-major de la 1re région militaire. En mars 1995, atteint par la limite d’âge, tu es placé en position de retraite d’office. Tu as 60 ans, le grade de colonel et tu es chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’Ordre national du Mérite.

 

Une nouvelle vie commence pour toi et ta chère Colette, épousée en 1964. Une vie dont tu avais écrit les prémices quand, un certain dimanche de mai 1962, au retour d’une messe dite à Périgotville, tu notais dans ton carnet, je cite : « Sermon sur Jeanne d’Arc. 1/ On peut faire sa sainteté en étant militaire 2/ On peut être saint des deux côtés 3/ Ne jamais désespérer quand tout semble perdu. »

 

En soldat de la Foi, tu vas te dévouer corps et âme à ta paroisse de Don Bosco, mais aussi et surtout à la société Saint-Vincent-de-Paul dont tu seras président départemental puis vice-président national : visites à domicile, recrutement de bénévoles, recherche de donateurs, collecte alimentaire.

 

Ce combat contre la solitude et la pauvreté, tu le poursuivras seul, après le départ de Colette vaincue par le cancer après des années d’une lutte exemplaire. À la question que tu te posais en 1962, peut-on être à la fois un militaire et un saint homme, ta vie a donné la réponse puisque tu fus les deux.

 

Quand, il y a six mois, tu fais une chute entrainant une hémorragie cérébrale, Marguerite, ta nouvelle épouse, est à tes côtés. Elle le restera jusqu’à ton dernier souffle, t’apportant chaque jour dans la maison de retraite protestante qui t’avait accueilli le réconfort de son amour.

 

Pour nous, tes petits-cos de la promotion Maréchal Bugeaud, tu fus l’ami fidèle et bienveillant. Tout à l’heure, quand nous chanterons le Pékin de Bahut, le chant de tradition des saint-cyriens, nous te reverrons dans l’éclat de ta jeunesse, en casoar et gants blancs, obéissant dans la nuit du 2 août 1959 à Coëtquidan à ce commandement inoubliable : À genou les Hommes ! Debout les Officiers !

 

Adieu, Jean-Luc.