Jean-Baptiste SERRA (20 avril 2017)


Éloge du commandant Jean-Baptiste SERRA

décoré de la Médaille militaire, de l’ONM, de la croix de guerre des TOE et de la Valeur militaire

par le colonel (er) Alain Montagut

(24 avril 2017)  

Mon cher ami, cher Jean-Baptiste

En ma qualité d’ancien du Détachement PSD1 de Montpellier et de délégué régional de l’AASSDN2, il m’appartient de venir te témoigner notre attachement et notre reconnaissance pour tous les services que tu as rendus à notre maison.

Lorsque je suis arrivé au Détachement de Montpellier, au début des années 1980, tu avais déjà pris une retraite bien méritée, comme vient de le souligner ton petit-fils.

Mais nous avons encore le souvenir de cet ancien chef de Détachement qui, une ou deux fois par mois, venait discrètement nous retrouver, boulevard Louis Blanc, dans cet ancien couvent des Ursulines ou nous avions nos bureaux, rencontrer les anciens de la maison et apporter aux jeunes quelques conseils, fruits de sa longue expérience.

Nous gardons en mémoire les inquiétudes que faisaient naître en toi, la disparition de la SM3 et la création en ses lieux et place de la DPSD, mais aussi ton soulagement en constatant que les orientations et les missions essentielles de la maison étaient maintenues et poursuivies.

Plus tard, au sein de l’AASSDN, que tu avais rejointe en 1988, nous avons eu le plaisir de te retrouver, avec Christiane, à toutes nos réunions et rencontres. Ta bonne humeur et ta gentillesse illuminaient nos journées que ce soit à Perpignan, Béziers, Nimes ou La Grande Motte.

Ce calme discret des anciens que tu affichais faisait chaud au cœur des jeunes qui nous rejoignaient.

Les camarades de l’ANOCR se souviennent aussi, avec délice et gourmandise, des nombreux voyages et visites que, avec Christiane, vous leur aviez concoctés. Ils ont encore à l’esprit la qualité de vos choix pour ces séjours lointains que vous aviez minutieusement préparés.

Ils conservent  l’image d’un camarade doté d’une gentillesse naturelle et d’un humour agréable faisant de toi un accompagnateur compétent et recherché.

Dévoué, toujours à l’écoute des autres, prêt à rendre service et fidèle en amitié, nous garderons de toi le souvenir d’un homme généreux et honnête.

Fidèle à la devise de notre amicale « compétence et discrétion », nous conserverons l’image de ce grand ancien qui, avec quelques mots simples et un franc sourire, savait indiquer la bonne direction pour trouver la solution à tous les problèmes qui peuvent survenir.

C’est avec émotion et reconnaissance que nous te quittons ce jour, dans la certitude de nous retrouver dans un monde meilleur.

Chère Christiane, vous et vos enfants, soyez assurés du soutien de l’ensemble des compagnons de route de Jean-Baptiste, auprès desquels vous trouverez toujours une écoute et un appui sincères et une amitié indéfectible.

 


Hommage à mon grand-père

Jean-Baptiste SERRA

20 novembre 1919 – 20 avril 2017

prononcé au complexe funéraire de Grammont (Montpellier) le 24 avril 2017    

Je voudrais, au nom de mon grand-père, Jean-Baptiste SERRA, de sa femme, Christiane, de ses enfants, Jean-Roch, Dominique et Michel, de sa sœur, Gabie qui âgée de 95 ans est hélas trop fatiguée pour être présente aujourd’hui,

au nom de ses autres petits-enfants Victoria, César, Inès, Charlotte, et de Loïs (qui est à plus de 20000 km d’ici, mais qui est de tout de son cœur avec nous) au nom de nos proches, vous remercier pour votre présence à cette cérémonie d’hommage.

Croyez bien que votre venue et vos témoignages de sympathie et d’affection nous font vraiment chaud au cœur.

Mon grand-père, était très conscient de sa situation à la toute fin de sa vie. Il m’a fait l’honneur de me demander de prononcer quelques mots pour retracer son parcours et vous parler de sa vie et de qui il était.

On ne résume pas aisément 97 ans de vie en quelques minutes… D’autant que sa vie fût particulièrement riche, mais je vais évoquer les étapes les plus importantes.

A travers les histoires qu’il nous a racontées à nous, ses petits-enfants, nous avons découvert non seulement sa vie et celle de notre grand-mère, mais aussi des époques – la Seconde guerre mondiale, la Décolonisation – que nous n’avons pas connues.

Il a toujours su le faire en dédramatisant les choses et en mettant en avant l’anecdote qui nous faisait sourire. C’est dans cet esprit que nous voulons lui rendre un hommage qu’il ne voulait ni larmoyant, ni pompeux, ni plein d’emphase. Si lui-même avait pu le prononcer, il l’aurait sans doute fait avec simplicité et de manière à ce que ce soient nos sourires, et pas seulement nos larmes qui l’accompagnent aujourd’hui.

Jean-Baptiste SERRA est né le 20 novembre 1919 à Alger.

Toute sa vie il est resté très attaché à l’Algérie qui l’a vu naître, grandir aux côtés de sa sœur Gabie et de son frère Emile, se marier, avoir son premier enfant… Cette Algérie il a dû la quitter, avec femme et enfants, comme tant d’autres familles en 1962. Il tenait à ce que cet attachement profond pour ce pays, qu’il n’a jamais revu, soit rappelé aujourd’hui.

Toute sa vie il est resté très attaché également à une autre terre : la Corse, terre de naissance de ses parents Rosalie et Dominique, où il allait, enfant ou adolescent, en vacances faire les 400 coups avec ses cousins germains Roco et Mono. C’est grâce à lui, et à eux, que nous, ses enfants et ses petits enfants, partageons cet amour pour la Corse, qui nous semble être, à nous aussi, la terre de nos origines. Lui-même est d’ailleurs toujours resté un membre actif de l’Amicale des Corses à Montpellier.

En un siècle, Jean-Baptiste a non seulement traversé mais aussi participé à des évènements qui ont changé le cours de l’histoire de notre pays et du monde. Comme tant d’autres jeunes hommes de cette époque, il est entré dans l’armée pendant la Seconde guerre mondiale, en juin 1940. Il fût incorporé au 9ème ZOUAVE comme soldat de 2ème classe. Basé à Alger pendant les années 40, 41, 42, il s’est retrouvé comme les 110 000 Français et supplétifs algériens de l’Armée d’Afrique, pris dans les tenailles de l’Histoire lors du débarquement allié du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord…

De cet épisode où l’Armée d’Afrique a combattu pendant 3 jours les Alliés avant de se rallier à eux, il nous a raconté de quelle manière il avait reçu l’ordre de s’opposer au débarquement allié et de tenir une plage, avec quelques camarades. Juste armés de vieux fusils, ils se sont retrouvés face à des énormes véhicules blindés amphibies américains jaillissant de l’eau et fonçant droit sur eux… Et là où ils ont cru qu’ils allaient y passer, ils ont eu la surprise de voir les soldats américains leur jeter des chocolats et des cigarettes… Il a fort heureusement préféré, comme ses camarades, ramasser chocolats et cigarettes plutôt que de se faire trouer la peau.

En juillet 1943, il est affecté pour quelques mois en Tunisie. De cette période, il nous a raconté la manière dont il a quitté son poste en pleine guerre, voyagé caché et passé la frontière algérienne clandestinement avec un compagnon de route, René qui allait devenir son beau-frère. Ils ont voyagé dans un wagon à bestiaux, sur le toit d’un bus, ou dans un camion qui transportait des briques, pour arriver le 14 septembre à l’heure à son mariage avec la jolie Christiane, qui allait partager sa vie pendant 73 ans et 8 mois…

Ce fût non seulement un acte d’amour magnifique mais aussi fort risqué car on ne déserte pas impunément en pleine guerre… Le retour, volontaire, à son poste en Tunisie après le mariage, a été quelques peu mouvementé. Il est néanmoins nommé 15 jours plus tard sergent -major, avant de revenir à Alger où il s’embarque sur le bateau à vapeur S/S Marrakech pour la Corse. Il débarque à Ajaccio le 21 novembre 43, juste après la Libération de l’Ile. Il y séjourne plus de 9 mois avant de partir de Calvi pour débarquer à Saint-Raphaël en Provence en septembre 44.

De là, il remonte vers le nord et l’est de la France pendant un hiver extrêmement rigoureux, et pénètre en Allemagne le 26 mars 1945 où il séjourne avec les troupes d’occupation. Il revient finalement à Oran le 30 novembre 1945, soit 2 ans après son départ…

Presque un an plus tard, le 12 novembre 1946, c’est l’arrivée de leur premier enfant, Jean-Roch. En décembre 1949, 3 ans après la naissance de son fils, et après 19 jours en mer sur le S/S Pasteur, il débarque à Saigon. Il restera en Indochine pendant 2 ans et demi ! Imaginez un peu… 2 ans et demi à l’autre bout du monde, à la guerre, sans jamais voir sa femme et son fils. Là encore, il ne nous parlait pas de l’horreur de la guerre, alors qu’il a pourtant reçu une citation pour l’exemplarité de son action. Il nous racontait plutôt la beauté du temple d’Angkor, nous racontait qu’il s’accrochait au sac du gars qui marchait devant lui, et arrivait ainsi en fermant les yeux à gagner quelques secondes de sieste pendant les marches forcées. Il nous disait aussi que TOUS LES JOURS, pendant 2 ans et demi d’absence, il s’est débrouillé pour écrire une lettre à sa femme.  C’est aussi pendant ces années de guerre qu’il a brillamment réussi son certificat d’aptitude professionnelle, pour obtenir le statut de cadre des Adjoints de chancellerie.

Il rentre à Oran en avril 52, et retrouve sa femme et un petit garçon qui a bien grandi. Il est affecté à Marrakech au Maroc en septembre 1952 au sein du Service de sécurité de la défense nationale et des forces armées. Là, il participe à la réunion qui va conduire à la nomination du Sultan Mohammed ben Arafa en 53, à la tête du Maroc et suit de très près tout le processus qui va conduire à l’indépendance du Maroc en 56. C’est à Marrakech que naissent leurs 2 autres enfants Dominique le 6 juillet 54, puis Michel le 11 octobre 55.

Après l’indépendance du Maroc, en juin 1956, c'est-à-dire en pleine Guerre froide, il est affecté à Landau puis à Sarrebruck en Allemagne où il est nommé sous -lieutenant puis lieutenant comme chef du Service de sécurité de la défense nationale et des forces armées, de la 3ème Division d’infanterie. Là, il reçoit un témoignage de satisfaction du Général d’armée, Commandant en chef des Forces Françaises en Allemagne pour avoir je cite « fais preuve des plus belles qualités militaires et avoir neutralisé un important mouvement clandestin, grâce à ses enquêtes discrètes, opiniâtres, son tact et sa clairvoyance ».

En juin 1960, c’est le retour en Algérie, terre de sa naissance et de son enfance. Là encore il se retrouve en pleine guerre alors que sa femme et ses enfants sont en France à Mont-de-Marsan. Il est affecté à Ouargla puis en novembre 60 à l’antenne de sécurité militaire de Tamanrasset, au cœur du Sahara… Ville stratégique pour la France car, rappelons-le, elle accueillait le Centre expérimental nucléaire français. Lui nous expliquait qu’il devait confisquer discrètement des appareils photos et faire disparaître des pellicules de personnes trop curieuses. Dans sa 2ème citation à l’ordre du régiment, on découvre en fait que son action s’était soldée par je cite « la destruction de filières rebelles, la neutralisation d’agents étrangers en provenance de Syrie et d’éléments subversifs introduits dans la base atomique d’IN AKRER… »

En juin 61, il est affecté à BLIDA, où le rejoignent Christiane et ses 3 enfants. A nous ses petits enfants, il nous racontait que la vie en période de guerre n’était pas simple mais qu’elle continuait néanmoins et qu’ils partaient pendant les permissions parfois à Abbo en Kabylie en voiture, lui au volant, les 3 enfants sur la banquette arrière et Christiane en copilote avec une mitraillette sur les genoux au cas où….

Il nous parlait de ses cas de conscience quand on lui avait demandé d’enquêter sur la fidélité des officiers de l’armée française aux décisions politiques prises à Paris concernant l’indépendance de l’Algérie, alors que certains de ses camarades ou amis officiers y étaient très opposés.  Et puis, ce fût les accords d’Evian, l’indépendance de l’Algérie et le 19 septembre 1962, Jean-Baptiste et sa famille quittent pour la dernière fois l’Algérie… pour une affectation à Tours puis à Blois… Et là où beaucoup évoquent la tristesse de quitter leur terre de naissance, l’Algérie, lui et Christiane nous racontaient surtout, presque comme on raconte une histoire drôle, que l’appartement qu’on leur avait affecté sur les bords de Loire, était troglodyte, que l’hiver était bien rude surtout après le climat algérien, et que le confort était « suffisamment » au rendez-vous pour que l’eau gèle dans le lavabo, comme avait gelé la Loire en cet hiver 63…

Après avoir été nommé capitaine, il rejoint un nouveau poste à Landau en Allemagne en avril 66. En 1968, il reçoit un ordre de mutation pour se rendre à Baden Baden, toujours en Allemagne. Là il tombe sur… Le général De Gaulle, Président de la République, qui avait mystérieusement quitté Paris et était venu consulter le général Massu, Commandant en Chef les Forces françaises en Allemagne, sur les évènements qui agitaient le pays en ce mois de mai. C’est ainsi nous disait-il que Christiane fut informée, avant Matignon, de l’endroit où se trouvait De Gaulle.

En 69 il reçoit un remerciement de la 7ème Armée en Europe des Etats Unis d’Amérique pour sa contribution dans la coopération avec les Services d’Intelligence et les Agences des Etats-Unis.  Lui nous racontait qu’il devait juste être bien avec des gradés américains et participer ou organiser de bons gueuletons… De cette période il disait qu’il avait gardé le goût de la rencontre, et un grand intérêt pour les autres…

En 1971, il est affecté comme chef de Détachement du Poste de sécurité militaire à Montpellier, où il est nommé commandant le 10 octobre 1973.

En 1977, c’est la retraite après 37 ans de services actifs, 3 guerres, et la participation aux chamboulements du Monde. Je ne vais pas citer toutes les décorations obtenues… De la croix de guerre à l’ordre nationale du mérite… car lui-même n’en parlait jamais.

La retraite n’était pas l’inactivité pour Jean-Baptiste, puisqu’il s’engage dans une nouvelle voie… Celle d’aider les autres. Il prend ainsi sous son aile un grand nombre de personnes que lui confie le juge des tutelles. Et il le fait de manière consciencieuse et avec cœur, leur rend visite y compris à la Colombière, et noue parfois avec eux des liens très forts, puisque certains d’entre eux, plus de 20 ans après la fin des tutelles, l’appelaient encore pour prendre des nouvelles. Il faut aussi citer son engagement aux côtés des plus démunis au sein de l’association Saint-Vincent de Paul…

C’est ce visage là qu’ont connu ses amis, nombreux. Le visage d’un homme fidèle à ses amitiés comme à ses valeurs, le visage d’un homme sur lequel on peut compter, le visage d’un homme aimant partager un bon couscous ou un bon cassoulet, le visage d’un homme avec beaucoup d’humour, de simplicité, de générosité, le visage d’un homme ayant une grande compréhension et une grande tolérance pour les autres, qui savait accueillir et mettre à l’aise, y compris celles et ceux qui ont rejoint sa famille. Le visage d’un homme toujours debout face à l’adversité et ne renonçant à rien ; songez qu’il conduisait encore à 93 ans !

C’est ce visage là que nous avons connu nous ses petits enfants. Le visage d’un homme aimant, bienveillant, doux, toujours soucieux des siens, beaucoup plus que de lui-même, toujours à veiller sur nous et être là pour nous quand il le fallait, à nous prodiguer encouragements et conseils et ce jusqu’au dernier souffle…

Un beau visage, plein de force, de bonté et de sagesse, qui reste et restera bien vivant dans nos mémoires et nos cœurs, à éclairer nos vies. Au revoir papi. Et bon vent.

 

Son petit-fils Jérémie