Guy de PALMAS (15 avril 2017)


Éloge du lieutenant-colonel Guy de PALMAS

par son camarade de promotion Patrick Monier-Vinard

le 20 avril en l’église Saint-Denis de Montpellier

 

Mon cher Guy,

 

C’est il y a presque soixante ans, qu’un certain jour d’octobre 1958, dans l’effervescence du camp de Coëtquidan, nous t’avons aperçu pour la première fois. Je dis nous, puisque je m’adresse à toi au nom de la promotion "Maréchal Bugeaud" dont tu étais l’un des membres éminents et pour laquelle tu t’es tant dévoué.

Ce qui nous a frappés ce jour-là, ce n’est pas tant cette tête bien pleine qui t’avait permis d’intégrer via le concours "Sciences", 14ème sur 365, que ce corps bien fait. Tu étais grand, mince, tu avais le sourire d’un acteur américain, les yeux bleus, les cheveux blonds dorés par le soleil du Maroc où tu avais grandi.

 

Parce que tu connaissais quelques mots d’arabe et que tu avais l’accent de là-bas, le commandant de l’École t’avait dans sa grande sagesse affecté à la 4e section de la 12e compagnie, laquelle avait la particularité de compter dans ses rangs 10 élèves officiers marocains. Tu allais en être l’interprète, le confident, le grand frère, nouant avec eux une amitié qui résisterait au temps et à l’éloignement. La 12e compagnie avait la particularité d’être commandée par un capitaine qui, lors des séances de tir, interdisait à ses élèves de mettre du coton dans leurs oreilles, avec pour conséquence des problèmes d’audition dont tu sauras tirer profit des années plus tard en n’entendant que ce tu voulais bien entendre. En clair en n’en faisant qu’à ta tête, comme tu l’avais déjà si bien fait à Coët où ton indépendance d’esprit t’avait valu le titre envié de vice recordman du nombre de jours, ou plus exactement de nuits passées derrière les barreaux de notre minuscule prison.

 

Ayant à la sortie de l’École opté pour l’infanterie métropolitaine, tu choisis à l’issue de notre application à Philippeville le 1er Régiment de tirailleurs algériens. Nous sommes en janvier 1961. Chef de section, tu droppes les djebels de l’Algérois, avec une détermination qui te vaut d’être cité à l’ordre de la division et décoré de la croix de la Valeur militaire avec étoile d'argent. De cette guerre d’Algérie où 10 de nos petits-cos meurent pour la France, où d’autres choisissent la désobéissance, après laquelle d’autres encore quittent l’armée, tu ne parlais jamais. Sans doute, comme nombre d’entre nous en étais-tu revenu avec le goût amer d’un rêve inachevé.

 

Ton domaine sera désormais l’Hexagone. L’École d’application de l’infanterie à Montpellier où tu instruis les EOR, le 43e RI à Lille, le Centre commando de Kehl, le 110e à Donaueschingen. C’est alors que le commandement se souvient de ta tête bien pleine et décide d’en rendre le contenu plus performant encore. Direction les bancs de la fac de Grenoble puis de Montpellier, avec au final un diplôme technique d’informatique, et un poste à l’EMAT où tu vas, à deux reprises, avec un intervalle passé au 11e BCA de Barcelonnette, gérer des ordinateurs grands comme des armoires normandes, lesquels avaient entre autres tâches celle de fusionner les notations des officiers et prédire leur avenir. Poste clé qui t’avait valu de recevoir dans ton antre climatisé, un de nos petit-cos venu s’enquérir de la date de son élévation au grade de général. Tu avais entré les données, fait partir la machine, puis donné le verdict : tu finiras colonel. Recommence, avait insisté notre camarade. Tu avais recommencé et la machine avait confirmé la sanction : colonel à vie. Notre petit-co t’avait alors traité de technocrate déshumanisé, fustigeant le robot sans cœur que tu étais devenu, qui préférait ses disques durs du jour à ses amis d’hier. C’était bien mal te connaitre.

 

Ta dernière affectation te ramène dans ta chère ville de Montpellier, où tu as connu et épousé Martine, et où vos deux enfants Bérengère et Alexandre sont nés. Tu retrouves l’EAI en qualité cette fois d’officier des relations publiques. Les civils, impressionnés par ta prestance, se bousculent aux journées portes ouvertes, aux bals où tu te fais un devoir de faire danser leurs femmes, leurs enfants fréquentent tes clubs, dont ce club de tir où, fort de ton expérience en matière de décibels perdus, tu veilles à ce que les tireurs placent des bouchons de cire dans leurs jeunes oreilles. On te voit partout et ton adieu aux armes en 1984 ne change en rien ton rythme de vie.

Entre tes permanences à SOS Amitié, ton soutien scolaire aux enfants hospitalisés, le parc Montcalm est toujours ton jardin, le mazet du tennis ton PC opérationnel. Tu joues au golf, au tennis, tu fais du vélo, de la montagne avec Michel Barret, de la planche à voile à Palavas, du théâtre lors de nos réunions de promotion où tu es au choix un centurion romain, un cheik arabe ou un pistolero guatémaltèque.

 

Tu es dans une forme physique exceptionnelle jusqu’à ce premier accident cérébral qui, parce que tes propos étaient un peu confus, nous avaient fait sourire plutôt qu’autre chose. Tu marchais, tu riais, tu n’allais pas tarder à quitter la clinique, pensions-nous. Nous nous trompions. Un jour où nous étions venus te voir, Georges Barbry et moi, tu nous avais raccompagnés jusqu’à l’ascenseur, puis tu avais regagné ta chambre, pris ton blouson, et tu étais parti. Pas loin, puisque des soignants t’avaient intercepté dans le hall, et ramené au bercail. Mon colonel, promettez-nous de ne plus vous enfuir ! Tu avais promis. Pas pour longtemps. Trois jours plus tard, un dimanche, la surveillance étant moindre, tu avais à nouveau choisi la liberté pour une escapade de quelques kilomètres qui devait te conduire chez toi. Peut-être as-tu pressenti ce jour-là que ce n’est que dans le monde que tu viens de rejoindre que tu serais à nouveau libre. Libre de marcher, de parler, de rire et de chanter avec nous ce Pékin de bahut que tout à l’heure, au moment de l’adieu, nous entonnerons pour toi.

 

Durant 59 ans, de notre première rencontre à nos douloureuses visites de ces dernières semaines, tu as été pour nous l’ami que tout ami rêve d’avoir dans sa vie. Merci Guy.