Georges COMAYRAS (6 mai 2025)


Le groupement a le regret et la peine de vous faire part du décès du colonel de Gendarmerie Georges COMAYRAS, à Roubaix, le mardi 6 mai 2025 à l'âge de 94 ans.

Lui et Marguerite son épouse avaient quitté Montpellier il y a peu d'années pour se rapprocher de leur fille et sa famille, dont les trois enfants exercent comme médecins dans des disciplines différentes. C'est donc bien entouré et accompagné que Georges a pris un nouveau départ pour une autre Vie en laissant derrière lui le souvenir d'un camarade agréable, calme et à la parole mesurée.

Georges était toujours adhérent du groupement, bien qu'il ait quitté la région.

 

Ses funérailles ont été célébrées le 14 mai à Wattrelos (59).

La dépouille mortelle a été ramenée en Aveyron où elle repose désormais,, selon les vœux de Georges, à Aguessac. 


Hommage de Sylvie, fille de Georges

 

Papa, je ne t'ai plus appelé papa depuis bien longtemps : je t'appelais Papinou comme tes petits-enfants... Tu étais pudique et tu parlais peu. La tendresse, tu l’exprimais rarement, mais ça comptait et on s'en souvient : tu as porté nos enfants dans le kangourou…

Ta vie, tu en as décidé par tes choix face à des évènements personnels et historiques entremêlés, dans la tourmente que tu as dû affronter. 

Tu avais 21 ans quand survint la mort brutale de ton père. Tu dois quitter Bordeaux, ses bateaux et ta licence d'anglais. Et tu reviens chez tes parents à Roquefort, village industriel et ouvrier au pied d'une falaise rocheuse.

Tu soutiens ta famille, tu es l'aîné. La famille, elle est plongée dans la tristesse et la résignation. La joie les as quittés. Toi tu travailles dans un bureau et dans une absence de perspective qui te pèse.

L'enfance libre dans les escaliers du village, les copains, le scoutisme… La jeunesse avec la spéléologie, la nature, la photo… : tout cela c'est encore en toi…

Alors, au bout d'une année, tu résilies ton sursis et tu pars faire ton service militaire en Algérie, dans le 2e bataillon de zouaves à Oran. Tu effectues un parcours militaire qui durera un an et demi : le 1er novembre 1954 tu es nommé sous-lieutenant de réserve ; il se trouve qu'à la même date débute ce que l'on appellera plus tard la guerre d'Algérie.

Tu es revenu à Roquefort et si c'était toi qui avais dû en parler, je suis sûre que tu aurais dit « c'était la mort du petit cheval », en rajoutant à ta façon « dans les bras de sa mère »…

Un an et demi après, tu es rappelé comme réserviste en pleine guerre et tu es affecté comme chef de section à la frontière entre l'Algérie et le Maroc, à la surveillance d'un gazoduc.

Quand je regarde tes photos, je me dis que tu ne devais pas être si dépaysé que ça : montagnes, cailloux, toiles de tente, la radio installée dans une grotte. C'était beau, mais la peur et le danger étaient là.

La seule chose que tu me dis, à ma demande, il y a quelques années, c'est que ton objectif était que vous rentriez tous vivants à la maison… les héros ce n’était pas ton truc… 

Finalement, vous êtes tous revenus vivants et le mélange de courage et de lucidité qui te caractérise doit y être pour quelque chose…

Huit mois plus tard, le retour ! … Tu connaissais déjà ma mère, Marguerite, Maman, Mamie, Maminou. Là non plus rien n’est simple, tu n'avais pas le bon profil, mais vous tenez bon tous les deux : vous vous mariez avec deux témoins à Roquefort.

Ma mère aussi a dû faire son baluchon ! Elle a dû rompre avec sa famille. Décidément, tous les deux, pour suivre votre désir, il fallait mettre le paquet.  

Après avoir tenté l'aventure du rail : un passage par Narbonne où je suis née et la gare de Fitou, en 1962 tu as 32 ans et tu intègres la gendarmerie après un passage par l’École des officiers de la gendarmerie à Melun.

Tu es au bon endroit, à ta place, tu exerces un métier de responsabilité et d'action.

Parfois, Maman et moi percevions le soir que tu étais soucieux et nous disions : « Il a le képi de travers »… C'est tout.

Maman et moi te suivions dans tes affectations.

À ta retraite en 1986, la casquette remplace le képi et vous vivez une retraite heureuse à Montpellier, dans un réseau amical, solidaire, surtout des militaires… Mais aussi près de vos familles en Aveyron… Novembre 2019 : votre double perte d'autonomie aboutit à votre arrivée à Roubaix, puis à votre entrée à l'EHPAD des Orchidées quelques mois plus tard. Tu as bientôt 90 ans. Le confinement est très difficile à traverser pour nous tous, mais vous finissez par retrouver un rythme de croisière… Les années passent, votre autonomie s’amenuise.

Tu affrontes chaque étape avec dignité, sans aucune plainte, avec ton humour, parfois décapant. Tu n'as plus de mémoire, plus d'apprentissage possible, mais tu cherches toujours (parfois désespérément) à comprendre. Jamais tu n'as renoncé.

Votre accent est votre marque de fabrique à l'EHPAD : vous y êtes accompagnés par une équipe chaleureuse et attentive, qui nous soutient beaucoup nous aussi… Elle sera là jusqu'au bout avec nous cinq.

Louise, Gabriel, Sylvain, Marc et moi avons pu te tenir la main jusqu'à ton dernier soupir. 

Alors papa, je te remercie :

- tu as été un modèle, même si je ne l'ai pas compris assez tôt pour pouvoir te le dire : choisir son destin contre les empêchements, les contraintes ;

- tu m'as appris à voir la beauté dans tout, même dans ce qui semblait ne pas compter ;

- tu intervenais peu, mais dans les moments essentiels, ta parole était parole impeccable ;

- je te dois d'avoir pu faire du vélo et de la randonnée librement, sans entraves.

Quand Sylvain a envisagé une carrière militaire, tu lui as dit :« C'est bien, mais sache que la guerre est partout, même si on ne la voit pas ».

Oui merci d'avoir été là, tu es tranquille et tu vas rejoindre le cimetière d’Aguessac près du Tarn, d'où l'on voit le Causse à travers les arbres.


Hommage de Louise, petite-fille de Georges

 

À notre Papinou

 

Papi,

Nous sommes ici aujourd’hui pour te dire au revoir, mais plus qu’un adieu, c’est surtout un hommage que nous voulons te rendre, un merci que l’on ne t’a sûrement pas assez dit lorsque nous étions plus jeunes.

Préparez les mouchoirs, ça va être la chiale.

Car oui, tu as été notre papi à tous les trois, on avait la chance de t’avoir rien que pour nous.

Nous ne savions pas énormément de choses de ton passé, tels les enfants que nous étions. Mais nous avons en nous ces souvenirs simples qui font les relations et les souvenirs petits-enfants/ grands-parents, loin du poids du passé et des histoires de famille, des drames personnels que chacun a pu vivre. Pas besoin de chichi. En plus tu étais plutôt du genre taiseux, c’était pas ton style de te plaindre.

Alors plutôt que de raconter ta vie, nous allons vous raconter notre papinou, tel que nous l’avons connu, avec nos regards de minots…

Des Papinous en fait il y en avait deux : celui qui habitait Montpellier l’été et celui qui venait à Roubaix pour Noël (et parfois pour d’autres vacances scolaires). C’était le même, mais en un peu différent. Car oui, tu n’habitais pas la porte à côté. Le sud c’était toi et mamie. Le nord c’était nous.

Tous les étés, je pense sans exception, nous sommes venus à Montpellier passer une partie de nos grandes vacances…

Pendant ce temps on foutait une paix royale à nos parents adorés.

Mais ce n’était pas franchement pour nous déplaire…

À peine arrivés rue de la Ferrade, ding dong à la sonnette à droite du portail blanc qui ne s’ouvre que par l’intérieur, et qui est TOUJOURS fermé.

Tu arrives avec Mamie pour nous ouvrir, short beige et sandales en cuir ouvertes, teeshirt au bleu indescriptible (je ne sais pas si tu en avais plusieurs ou si c’était tjrs le même).

La table est déjà mise Mon colonel, et Mamie a déjà tout préparé évidemment : le taboulé sinon rien en entrée. Puis les spécialités de Mamie. Puis le plateau de fromages, sans oublier le pain à table : car oui, pas de repas sans pain frais pour toi : Mamie ou toi alliez tous les matins à la boulangerie. Bref ! Là plus personne n’a faim, mais il y a encore le melon et la glace.

Fin du repas : épreuve dite « des ronds de serviettes » et on ne transige pas avec ça. Tu plies méticuleusement ta serviette de table, toujours de la même façon, j’ai essayé de la plier aussi bien que toi et Mamie, mais je n’ai jamais réussi : soit c’est trop fin la serviette flotte dedans de manière informe, soit c’est trop épais et ça rentre à peine. Sûrement tes années en pension ou l’armée… Chez nous c’était plus flex.

Bon voilà c’était pour l’accueil, histoire de planter le décor...

Car rue de la Ferrade, toutes les journées estivales caniculaires s’articulaient à quelques détails près de la même façon :

Le matin : personne ne nous réveillait évidemment.

Papi et Mamie déjeunaient avant nous. Mamie seule sur la petite table à roulette qui se range dans la cuisine, savoure seule son café noir matinal. Toi, tu te lèves toujours après car tu aimes bien faire ton roupillon tranquille. Tu prends ton petit déj sur la terrasse.

Toujours le même rituel : ta théière en métal, toute noire à l’intérieure, thé Lipton goût russe. Et tartines en tout genre avec la confiture de Mamie (reine-claude ou abricot) si possible sur de la ficelle grillée, oui, pas de la baguette.

Puis on se lève et là, open bar, dessins animés après un petit déjeuner de luxe car on a toujours droit à la totale de la boulangerie avec vous deux.

Tu finis par nous chasser du téléviseur pour zapper sur le 12/13 de Jean-Pierre Pernaut : le journal télévisé c’est minimum 2 fois par jour avec toi.

À midi : farandole de gastronomie avec Mamie aux fourneaux et des plats « avec lesquels on ne nous poursuivra pas toute notre vie ».

Puis l’heure sacrée du café : même tasse, même cuillère, même café. Tu adores ta Nespresso, et tu es bouche sucrée quand il s’agit du petit bout de chocolat ou du biscuit pour accompagner.

Et puis c’est l’heure de la sieste, avec un grand S. Pas la peine d’espérer y couper. Tu fermes absolument tous les volets de la maison. Et go pour 1 heure ou 2 . Quand on était petits tu chopais Gabriel avec toi et moi j’allais avec Mamie (Sylvain aussi) puis en grandissant on ne faisait pas de bruit et on s’occupait pendant que tu ronflais.

Après la sieste syndicale, goûter pour les mioches.

Tu mets des glaçons dans ton rafraîchisseur d’air et c’est parti pour l’étape du TOUR DE FRANCE : bien assis sur ta chaise pliable en plastique blanc avec son petit coussin, tu notes minutieusement le classement de chaque étape dans ton bloc-notes dédié.

Puis départ en fanfare pour Palavas-les Flots, lorsque la chaleur commence à tomber.

Tout le monde en maillot, tu sors la voiture du garage avec une technique élevée au rang d’art.

Remplissage du coffre : on prend la fameuse gourde avec la tasse intégrée : selon les jours, sirops de menthe ou citron, puis toute la panoplie indispensable : le fameux parasol bleu, les sacs de pelles et seaux en tous genres, sans oublier les 2 fauteuils pliables.

On cherche une place sur l’avenue, proche de la plage où on va (toujours la même évidemment). Mission plus ou moins ardue selon les jours.

Papi, toujours ton bob vissé sur la tête. Et là ça ne plaisante pas, tu ne nous lâches pas du regard. Parfois tu fais un plouf : c’est rarissime, nage indienne : la seule personne au monde qui nage encore comme ça, c’est toi.

Puis retour à la voiture : meilleur moment : que personne ne monte dans la voiture avant d’avoir brossé ses pieds avec cette affreuse brosse rigide qui nous déglingue la peau : « Pas de sable dans la chignole, nom de Dieu ! »

Impossible d’y échapper.

Retour à la maison, douche collective dans la salle de bain vert caca d’oie.

Rebelote : souper de Mamie sur la terrasse. Mais avant toute chose : le fameux gaspacho que tu nous sers religieusement avec les croûtons qui ne manquent jamais. Et chacun sait quel bruit tu fais quand tu manges ta soupe.

Après tout cela, c’est discussion pour savoir ce qu’on regarde à la télé : on ne compte plus le nombre de saisons de Fort Boyard et de Koh Lanta regardées tous ensemble dans le salon, SAUF LE VENDREDI : on ne badine pas avec Thalassa, c’est non négociable.

Mamie pique souvent du nez devant la télé, parfois on zappe l’émission et on fait un scrabble avec elle, toi tu as la voie libre pour choisir le film, mais c’est rare.

Quand nos parents sont là, je me souviens de soirées sur la terrasse de derrière avec les vers luisants dans la haie et le tortillon vert qui se consume doucement sous la table pour éviter les piqûres des moustiques.

Les jours se suivent et se ressemblent et forment nos souvenirs d’enfance avec vous.

Tu nous chantes l’alphabet scout, des chansons avec des histoires de moineaux dans les vignes et de duc de Bordeaux, moins recommandables parfois.

Tu fais des blagues douteuses sur les planches et d’autres impérissables mais dont on gardera la discrétion aujourd’hui.

On va au parc du Lunaret, au cinéma et au restaurant chinois que vous adorez.

C’est tout ça nos vacances avec vous.

Puis parfois tu quittes Montpellier avec Mamie pour venir nous voir dans le Nord, sans faute, pour tous les Noëls. 

On les passe à la maison du 47 où tu laisses quelques affaires dont la fameuse veste de jogging bleu et noir qui n’a plus d’âge. 

On s’occupe comme on peut quand il fait moche (ce qui est souvent le cas). Parfois tu erres sans but, car sortir de tes habitudes n’est pas facile. Surtout dans notre maison où la vie est souvent agitée.

On se souviendra toujours de nos réveillons passés ensemble. Pas de Noël et Nouvel an sans toi et Mamie à notre table.

La nuit de Noël : pas de messe de minuit … Mais les tables de ping pong montées à l’envers et les circuits de voitures n’ont pas de secret pour toi. Le matin on te réveille sans te ménager car le pied du sapin déborde des cadeaux que vous avez passé des heures à emballer avec Mamie et les parents « Il est passé ! Il est passé ! ».  

Tu descends les yeux pas trop en face des trous pour le petit déj car tu sais qu’on ne te laissera pas tranquille tant que tout ne sera pas ouvert.

Tu regardes le concert du Nouvel an et le défilé du 14 Juillet. 

Tu écoutes de la musique classique sur ta chaîne hifi. 

Tu ressembles parfois à Kennedy. 

Tu mets ta casquette pour sortir.

Ta voiture est toujours impeccable. 

Tu n’oublies jamais ton Kodak jetable.  

Tu marches un peu comme Jacques Tati 

Tu m’as appris à faire du vélo au parc du Lion. 

Tu aimes avoir un chat sur les genoux. 

Tu ne sais pas faire la bise : tu mets un coup de joue. 

Tu as ouvert ta porte à nos moitiés. 

Voilà Papi tout ce que je retiens de nous avec mes deux frérots. 

Ces dernières années tu n’as jamais été aussi proche de nous, et jamais aussi loin en même temps. C’était difficile de venir vous voir dans un lieu qui n’était rien de tout ce qu’on avait connu avec vous. La mémoire flanche, puis les jambes, et tout s’estompe petit à petit. Heureusement que les parents continuent à vous rendre visite et à vous rapporter des huîtres à toi et Mamie. Pour moi c’était trop douloureux de ne plus être reconnue et de devoir abandonner l’image des grands-parents extraordinaires que vous avez été pour nous pendant 30 ans. Comme si une forme de deuil avait déjà commencé avant que tu nous quittes. 

Et je suis heureuse d’avoir gardé ces souvenirs non ternis, de garder en mémoire le Papi qui allait marcher tous les jours bras dessus bras dessous avec notre grand-mère. 

Je suis aussi heureuse que tu aies pu être là pour les moments importants de nos vies, nos réussites en médecine qui vous ont rendus si fiers Mamie et toi, et puis que tu aies appris la naissance de plusieurs de tes arrières-petits-enfants qui ont pu te connaître dans le Nord. Alors pour tout cela, Merci.

On t’aime, Papi.