Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France, à Montpellier (16 juillet 2017).


Comme tous les ans, le  dimanche qui suit la fête nationale, la France se souvient des heures sombres de son histoire. À Montpellier, la cérémonie traditionnelle qui se tient devant les stèles dans les jardins de l’hôtel de ville réunit les autorités civiles, militaires et religieuses juives, chrétiennes et musulmanes et une délégation de l’ANOCR.  

Des nombreux discours prononcés, évoquant, dénonçant, l’antisémitisme du gouvernement de Vichy, mais aussi remerciant les attitudes courageuses de beaucoup de Français, un seul, celui de Lorraine Acquier, représentant le maire de Montpellier, s’évertue à tirer des leçons du passé, eu égard aux crimes des islamistes souvent ciblés contre la communauté juive. En voici quelques extraits.

 « Rien ne s'efface : les convois, le travail, l'enfermement, les baraques, la maladie, le froid, le manque de sommeil, la faim, les humiliations, l'avilissement, les coups, les cris... rien ne peut ni ne doit être oublié. Mais, au-delà de ces horreurs, seuls importent les morts : la chambre à gaz pour les enfants, les femmes, les vieillards, pour ceux qui attrapent la gale, qui clopinent, qui ont mauvaise mine ; et, pour les autres, la mort lente. Deux mille cinq cents survivants sur soixante-dix-huit mille juifs français déportés. Il n'y a que la Shoah. L'atmosphère du crématoire, fumée et puanteur, de Birkenau. Je ne l'oublierai jamais. Là-bas, dans les plaines allemandes, s'étendent désormais des espaces dénudés sur lesquels règne le silence ; c'est le poids effrayant du vide que l'oubli n'a pas le droit de combler et que la mémoire des vivants habitera toujours ».

Ces mots de Simone Veil nous rappellent, mieux que nous ne pourrons sans doute jamais le faire, pourquoi nous sommes ici, dans les jardins de l’hôtel de Ville de Montpellier, le 16 juillet 2017, 75 ans après la rafle du Vel’dHiv. Il y a 22 ans, le président Jacques Chirac déclarait : "Ce jour-là, la France, patrie des Lumières et des droits de l'homme, terre d'accueil et d'asile, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux". Par ces mots, Jacques Chirac reconnaissait l'existence simultanée de deux France antagonistes entre 1940 et 1944 : la France de Pétain et de Bousquet, celle de la soumission et des persécuteurs, et celle de  De Gaulle et de Pierre Brossolette, la France de la Résistance et des Justes.

Il y a un an, nous étions déjà réunis ici, le souffle encore coupé par l’ignoble attaque terroriste islamiste perpétrée sur la Promenade des Anglais à Nice à l’occasion du feu d’artifice du 14 juillet. Nous étions ici, nous rappelant que la bête immonde avait une nouvelle forme humaine  et qu’il y avait urgence à agir.

Après la prise d’arme sur la place royale du Peyrou vendredi, vous avez, Monsieur le Préfet, rappelé la trop longue et insupportable liste des Français assassinés depuis plus d’un an pour ce qu’ils représentaient, ce qu’ils incarnaient dans notre République et vous avez rendu hommage à tous ceux qui luttent contre l’obscurantisme.

A ces morts, à vos mots, Monsieur le Préfet, je voudrais ajouter une autre liste, pour moi toute aussi funeste :

Une ancienne Secrétaire d’État explique, que pour la première fois, le 14 juillet 2016, des  enfants ont été la cible d’une attaque terroriste. Effaçant en une phrase le drame de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse et le meurtre le 19 mars 2012 de Gabriel 3 ans, Aryeh 6 ans  et Myriam 8 ans.

Une pièce de théâtre, jouée au festival off d’Avignon, "Moi la mort, je l’aime comme vous aimez la vie", met en scène les dernières heures de Mohammed Merah. Ultime phase du processus d’héroïsation, alors même que cet individu avait, avant de mourir, perdu sa dignité d’homme.

L’assassin de Sarah Halimi, une femme de confession juive de 65 ans, torturée et défenestrée au cri d’Allah Akbar par un musulman radicalisé dans un quasi silence politique et médiatique, est mis en examen pour homicide volontaire sans que soit retenu le caractère antisémite.

Des élus qui semblent avoir plus de mal à dire « vive la France » que  « Nique la France.

D’autres encore qui proposent de lutter contre le sexisme et pour l’égalité homme- femme simplement avec de l’aménagement urbain.

Toutes les semaines, un gendarme, policier ou un militaire est la cible d’une attaque terroriste – même si pour certains le caractère terroriste  est encore difficile à assumer.

75 ans après la rafle du Vel d’Hiv, et un an après « Nice », les choses ont-elles changé ?

Daesch perd du terrain au Moyen-Orient et on peut s’en réjouir. J’ouvre ici une parenthèse pour rendre un hommage appuyé à tous nos militaires qui sont engagés là-bas et qui œuvrent pour notre sécurité avec une détermination et un courage remarquables dans les conditions physiques et matérielles que l’on sait très compliquées. Un hommage également à toutes les forces de l’ordre qui nous protègent quotidiennement sur le territoire national.

Daech perd du terrain, mais en France la situation est identique ou presque. Le politiquement correct, devenue trop souvent la norme de l’action publique, ne permet pas toujours de dire la vérité et de garantir à tous nos concitoyens, quelles que soient leur origine, leur religion, les mêmes droits et devoirs incarnés par la devise  de la République Française, inscrite au fronton de toutes les mairies Liberté, Égalité, Fraternité.

En 1942, la France n’a pas su défendre tous ses enfants, livrant aux bourreaux nazis ceux de confession juive. 75 ans après, la longue liste de ce que certains appellent des signaux faibles doit nous interpeller. Permettez-moi de les comparer à ces oiseaux emmenés par les mineurs sous terre pour prévenir du manque d’oxygène ou du coup de grisou très proche. Je crois que chaque attaque, physique ou morale, contre un de nos concitoyens de confession juive, simplement parce qu’il est juif, ou encore contre nos forces de l’ordre est une alerte très grave pour chacun d’entre nous.

Chaque nouvelle attaque nous montre ce que nous risquons si le pays des Lumières et des droits de l’Homme cède face à l’obscurantisme. Ce que nous risquons si la République vacille et renonce à être ce qu’elle doit être, si la République renonce à être à la fois les fondations et le ciment  de notre société. Ce que nous risquons si la République renonce à être forte et intransigeante sur ses valeurs  Liberté, égalité, fraternité et laïcité.

Mais je ne crois pas que l’on puisse s’engager véritablement au service de nos concitoyens sans espérance ni foi en l’Homme, aussi je voudrais terminer mon propos avec une pensée émue pour deux personnalités qui nous ont quittés cette année et qui sont pour moi la preuve que l’humanité et la vie finissent toujours par triompher.

La première, déportée à 16 ans à Auschwitz, magistrate, deux fois ministre, présidente du parlement Européen, académicienne et bientôt panthéonisée, c’est Simone Veil

La deuxième, engagée dans la résistance à 15 ans et déportée à 17 ans (Auschwitz, puis Buchenwald), ingénieur et président de l’amicale des Déportés tatoués et décédé en janvier dernier, c’est André Bessière. J’ai eu le privilège d’échanger avec lui à de nombreuses reprises et il nous avait fait l’honneur de témoigner lors d’une commémoration, avec un vibrant appel à la jeunesse.

Simone Veil et André Bessière ont connu l’enfer sur terre. Leurs bourreaux ont mis en œuvre l’innommable pour nier leur humanité et effacer toute parcelle de vie de leur corps et de leur âme. Mais ça n’aura heureusement pas suffit. Ils sont revenus du néant, ils ont réappris à vivre, à rire, ils ont donné la vie, celle que d’autres avaient voulu leur prendre. Pour nous offrir ensuite une leçon d’humanité, de générosité et d’engagement. Je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer Simone Veil, mais on dit d’elle qu’elle avait un regard pénétrant et inoubliable. André Bessière, malgré ces 90 ans, donnait l’impression d’avoir gardé dans son regard pétillant, cette lueur de jeunesse qui pour lui s’était arrêté à 17 ans.

Les Justes parmi les Nations ont été des lumières dans l’obscurité alors que la France s’était perdue en 1942. Simone Veil, André Bessière, sont pour moi aujourd’hui des lumières bien vivantes qui doivent guider notre action publique.

Je vous remercie.

 

 

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